Législatives tchèques : les sociaux-démocrates en tête dans un pays morcelé

Roch de Salins, correspondant à Prague
28 Novembre 2013


Les élections législatives tchèques se sont tenues 7 mois plus tôt que prévu, les 25 et 26 octobre dernier. Elles font suite aux affaires de corruption et d’abus de pouvoir qui ont fait tomber le gouvernement de Petr Lucas (leader de l’ODS, parti de l’ex-coalition), en juin dernier.


Affiche de campagne du parti ČSSD « Nous allons lutter pour un état qui fonctionne bien ».
Seulement 59% des électeurs se sont déplacés dans les bureaux de vote pour élire les 200 députés que compte le parlement. Les Tchèques, lassés des déboires politiques et judiciaires des partis traditionnels, se laissent de plus en plus séduire par des formations aux discours dits simplistes. Les partis ANO et UPD ont notamment bénéficié de ce climat nauséabond pour faire leur entrée à la Poslanecká sněmovna (Chambre des députés).

Le parti social-démocrate (ČSSD) est sorti vainqueur des urnes. Il devance d’une courte tête l’ANO, qui a obtenu 3 sièges de moins. Les partis de droite ODS et TOP09, issus de l’ancienne coalition, sont quant à eux totalement défaits, cumulant moins de 20% des voix. Ils subissent un véritable vote-sanction. Les Chrétiens démocrates du KDU–ČSL ferment la marche avec 14 représentants.

C’est la première fois que la chambre des députés est aussi morcelée. La situation ne facilite pas la formation d’une nécessaire coalition, aucun des sept partis n’ayant obtenu de majorité absolue.

Une petite victoire du ČSSD

Le parti social-démocrate a dû revoir ses ambitions à la baisse, n’ayant obtenu que 20.45% des suffrages exprimés, soit 50 sièges. En chute libre dans les sondages les mois précédents l’élection, passant de près de 40% des intentions de vote à seulement 25%, le résultat est très décevant pour le parti de Bohuslav Sobotka. Le parti ne cachait pas sa volonté de former une coalition de gauche avec le parti communiste (KSČM), c’est aujourd’hui impossible. Les deux partis totalisent 83 sièges sur les 101 requis pour avoir une majorité.

Gagnant de ces élections, mais fortement affaibli, le ČSSD se trouve dans une position délicate. Selon Petr Just, politologue tchèque et professeur à l’Université Charles de Prague, le leader des socio-démocrates n’a d’autre choix que de se tourner vers les chrétiens-démocrates et le parti populiste ANO, ce dernier ayant refusé catégoriquement toute alliance avec le parti communiste. La tâche s’annonce rude d’autant plus que l’ANO avait déclaré ne pas avoir vocation à participer à un gouvernement.

Le poids de l'alliance des citoyens mécontents: ANO

Le parti politique ANO (alliance des citoyens mécontents, mais également « oui » en tchèque) qui était crédité selon les derniers sondages de près de 15% des voix obtient 18.65%. Surpris lui-même de ce résultat très favorable, le milliardaire slovaque Andrej Babis avait mené une campagne populiste, souhaitant mettre fin à la corruption et à la gabegie qui mine la République d’Europe centrale. Ce parti utilise des slogans tels que : « Nous ne sommes pas des politiciens, nous travaillons dur » ou encore « Fini les politiques contrôlées par les politiciens ! », aux forts accents antisystèmes.

Aujourd’hui, tous les regards se tournent vers celui que l’on surnomme parfois le « Berlusconi tchèque » compte tenu de sa fortune et de l’achat récent du groupe de presse MAFRA. Il contrôle donc Lidové noviny et Mladá fronta, deux journaux de référence en République tchèque. Le parti de la deuxième fortune du pays apparait désormais en position d’arbitre.

Le parti communiste sur la troisième marche du podium

Le Parti communiste (officiellement Parti communiste de Bohême et de Moravie) qui obtient 7 sièges de plus qu’en 2010, soit 33, le place comme troisième force politique du pays. Le KSČM reste une force politique majeure, bénéficiant notamment de l’essoufflement de la rhétorique anti-communiste, qui faisait le jeu des partis de droite depuis la révolution de velours de 1989. Le parti n’a d’ailleurs pas changé depuis la chute du communisme, contrairement à ses homologues hongrois et polonais (transformés en partis socio-démocrates). Il conserve une base électorale solide de l’ordre de 10 à 15% de l’électorat.

On s’oriente donc vers la formation d’un gouvernement autour de la personne de Bohuslav Sobotka (ČSSD). Le président Milos Zeman l’a notifié de sa confiance lors d’une rencontre le 13 novembre dernier au château de Lany (résidence d’été des Présidents tchèques). Cette coalition se créerait avec les Chrétiens démocrates et ANO, et selon le leader des socio-démocrates : « Il y a une chance réelle que la République tchèque ait un nouveau gouvernement d’ici à la fin de l’année ». Des divergences apparaissent, notamment sur la révision de la loi de restitution des biens de l’Église. Farouchement opposés à toute modification de cette mesure, les Chrétiens-démocrates bloquent l’avancée des négociations.